Des questions mathématiques très profondes trouvent parfois leur ori- gine dans des problèmes très anciens. C’est le cas du célèbre problème de l’isopérimétrie dont on trouve la trace dans une légende datant de la plus Haute Antiquité : celle de la fondation de Carthage. Cette légende raconte que Didon, fille du roi de Tyr, devenue reine à la mort de ce dernier, fut chassée par son frère Pygmalion et dut s’enfuir précipitamment avec une partie de l’artistocratie tyrienne. Après de nombreuses aventures, ils finirent par accoster sur les côtes africaines et demandèrent au roi Hiarbas de leur accorder une terre pour s’installer. Perfidement, celui-ci leur promit « autant de terre que peut contenir la peau d’un bœuf ». La reine Didon respecta scrupuleusement ces paroles, elle découpa une peau en lanières si fines qu’elle put encercler, en les mettant bout-à-bout, un vaste territoire : Carthage était née.
Le problème de la reine Didon, une fois les lanières découpées, est donc d’entourer, avec la longueur formée par celles-ci, la surface la plus grande possible. Le reine Didon a choisi selon la légende de disposer ses lanières en arc de cercle, alors que beaucoup d’autres solutions s’offraient à elle.
Le choix de la reine, bien qu’il paraisse évident, n’est pas si facile à justifier, il relève du problème de l’isopérimétrie qui s’énonce mathématiquement de la façon suivante :
avec un périmètre donné, quelle figure faut-il former pour circonscrire la plus grande surface possible ?
Le problème du mathématicien est donc un peu différent de celui de la reine Didon. On dispose toujours d’un périmètre donné qui est la longueur totale des lanières, en revanche, le contour que l’on cherche à former avec ce périmètre doit se refermer sur lui-même. La raison de cette formulation est une certaine simplification du problème, la figure recherchée n’a pas à être adossée à une forme particulière, la côte. Le problème devient alors libre de cette contrainte, il est en quelque sorte plus absolu.
Mais que se passe-t-il si l’on se pose les mêmes questions dans l’espace à trois dimensions, à savoir
comment, dans une aire donnée, englober le plus grand volume possible ?
L’observation d’une bulle de savon, qui est bien sphérique comme chacun sait, confirme ce résultat. Mais les choses se compliquent rapidement lorsque l’on envisage deux bulles de savon, c’est-à-dire lorsque l’on pose le problème de l’isopérimétrie pour deux volumes :
comment, avec une aire donnée, enfermer deux volumes égaux les plus grands possibles ?
Dans la quatrième dimension, le problème de la reine Didon s’énonce de la même manière que dans un espace sensible à deux ou trois dimensions :
comment délimiter de la façon la plus économe possible une portion d’espace en dimension 4 ?